an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Chapitre I - Entre la solitude des rues et le chaos de la vie

C'est ainsi que commence le roman Lisbonne au Fil des Mots. Dans ce chapitre, le protagoniste se trouve impliqué de manière inattendue dans une rencontre où les lignes du passé et du présent s'entrecroisent dans les rues de Lisbonne. Au cours d'une profonde introspection, il revit des moments de légèreté et d'émotion aux côtés de deux femmes qui, d'une manière unique, ont laissé une trace indélébile dans sa vie.

PROSE

4/29/20255 min temps de lecture

Aujourd’hui, je me suis réveillé avec les premiers rayons de soleil, timides voyageurs qui se glissaient à travers les fentes de la fenêtre de la cuisine, déversant une lumière dorée sur la pénombre matinale. Animé par le désir de contempler le spectacle unique de chaque aube, je me suis approché de la vitre. Mon regard a dépassé le verre pour atteindre l’immensité du Tage, où les eaux, presque frémissantes, reflétaient un ciel encore endormi. Plus loin, un champ sauvage respirait la fraîcheur de la rosée ; les buissons s’épanouissaient à chaque murmure de la pluie, dans une invitation silencieuse à la vie qui s’y nichait.

En ouvrant la fenêtre, une brise matinale, imprégnée de l’odeur de la terre mouillée et de l’herbe fraîche, m’a caressé le visage encore engourdi de sommeil. Dans l’air, les oiseaux, dissimulés dans le feuillage, entonnaient leur ode à la renaissance du jour. C’était comme si chaque note de leur symphonie apportait la promesse silencieuse d’un printemps prêt à éclore. À l’horizon limpide de Lisbonne, que j’aime tant, le soleil dessinait, par des touches de lumière, le prélude de nouvelles histoires, de nouveaux destins à découvrir.

Je me suis assis sur le rebord de la fenêtre, m’abandonnant à cet instant éphémère de paix. Les yeux fermés, j’ai empli mes poumons du parfum du matin, comme si je voulais emprisonner en moi l’essence pure de ce moment. Lisbonne s’épanouissait dans toute sa splendeur, et là, suspendu entre rêve et réalité, j’ai été tiré de ma contemplation par le murmure lointain de la ville qui ne dort jamais. C’était la routine, la vieille sentinelle, m’appelant à reprendre le rythme du quotidien. Le devoir guettait, et moi, prisonnier de l’engrenage social, je ne pouvais ignorer son appel.

En sortant de chez moi, enveloppé par la douceur du climat, je fis une halte au café du coin, où le matin s’épaississait en conversations murmurées et en arômes de café fraîchement moulu. Avec la sérénité de celui qui prolonge les minutes avant l’inévitable, je m’assis en terrasse, observant le soleil qui, hésitant, perçait les nuages et faisait scintiller la peau liquide du Tage. J’ai savouré, tel un rituel sacré, une sandwich de pão de deus, où le fromage et le jambon se fondaient sous la caresse tiède du beurre, tandis qu’un galão fumant et un jus d’orange dessinaient dans ma bouche la douceur tranquille du matin.

Mes yeux vagabondaient à travers l’agitation des rues. Des enfants protestaient, traînés vers l’école, écho de mes propres jours d’enfance, quand ma mère, la douce Oga, me guidait précipitamment dans les ruelles pour ne pas arriver en retard. Je me suis perdu, alors, dans la silhouette d’une femme qui passait. Son visage, voilé par la distance, portait la grâce ancienne des époques révolues. L’élégance de sa démarche, la dignité de ses habits, évoquaient un temps où la pudeur était un joyau rare, préservé avec le même zèle que les moines veillent sur leurs temples sacrés.

Le temps, cependant, ne s’est pas arrêté pour moi. L’horloge avançait, et sur l’écran de mon téléphone, Google Maps annonçait l’arrivée imminente de mon autocar. J’ai avalé les dernières bouchées de mon petit-déjeuner, payé à la hâte, et couru pour attraper le 759. Il arriva avec sa hâte habituelle, glissant sur la route comme s’il voulait rattraper les minutes perdues. À bord, j’étais secoué par les soubresauts qui composent la chorégraphie quotidienne des transports lisboètes. La destination était la station de Santa Apolónia, où le métro m’attendait, prêt à engloutir un passager de plus vers son périple matinal.

À l’arrêt du Terreiro do Paço, une mère et son fils sont montés. Le petit, le visage froissé de sommeil, s’est retrouvé séparé de sa mère à cause des places occupées. Je me suis levé aussitôt, lui cédant mon siège, car il me peine toujours de voir un enfant éloigné de la chaleur maternelle, même pour quelques instants. Il n’a pas tardé à fondre en larmes, tandis que la mère, par des gestes tendres mais fermes, lui essuyait le nez irrité. D’un baiser doux et de paroles murmurées, elle lui apporta consolation et paix, me rappelant, dans un éclair de nostalgie, les jours où les bras de ma mère étaient mon port d’attache. La saudade me transperça la poitrine, une larme roula sur ma joue. Voilà déjà dix ans que je ne l’ai plus revue.

Lorsque je repris mes esprits, j’étais au Marquês de Pombal. Le monde reprenait son rythme, et moi, comme tous les autres, j’étais absorbé par l’engrenage du jour. J’ai marché sept minutes jusqu’au bureau, où, en entrant, je saluai le gardien, qui me répondit par un sourire d’ancienne courtoisie. Le travail, lui, m’attendait avec sa prévisibilité habituelle. De petites variations dans les procédures, mais une essence inchangée, inébranlable. On dit que nous sommes la génération la plus avancée de tous les temps ; pourtant, je me demande si nous ne sommes pas, paradoxalement, la plus dépourvue d’imagination.

Je trouve malgré tout un certain réconfort dans ce que je fais. Des visages se croisent, des histoires s’entrelacent, et de temps à autre, une étincelle d’humanité s’échappe entre les engrenages du système. Mais la monotonie, elle, est inévitable. Pendant huit heures, je me déplace comme un automate, plongé dans des tâches prévisibles, tandis que le royaume de la fantaisie est réduit au silence par l’obligation du réel.

Mais cela vaut-il la peine de résister ? Changer de travail ne serait que changer de cellule dans la même prison. Nous nous illusionnons avec l’idée de liberté, mais vivons enchaînés à des loyers, des factures et des obligations. Il y a des jours où j’envie l’homme primitif, qui, sans adresse fixe, sans attaches, faisait du monde son foyer. Il migrerait quand il voulait, chassait quand il avait faim. Et nous, au sommet de la civilisation, que possédons-nous ? Une liberté dessinée à la règle et au compas, toujours limitée par le prix à payer pour exister.

En sortant du bureau, j’ai décidé de renier le ventre souterrain du métro et de me livrer aux rues de Lisbonne, laissant mes pas, longtemps emprisonnés sous le bureau, retrouver la liberté de l’asphalte. J’ai marché pendant vingt minutes, passant par les Restauradores et l’élégante gare du Rossio, jusqu’à émerger sur la place Martim Moniz. Là, sous le regard indifférent de la ville pressée, se rassemblent de jeunes Africains, Indiens et Népalais, nouvellement arrivés, non seulement à Lisbonne, mais à une attente sans fin. Sans papiers, sans domicile, ils occupent le temps comme ils peuvent, guettant la promesse fugace d’une opportunité.

Sous les bâches de fortune et sur les cartons froids qui les abritent lorsque la nuit tombe, le silence raconte des histoires que la ville prétend ne pas entendre.

Quelles sont vos impressions ?